Lundi 7 Mars

Penchant un peu la tête de côté, elle observa les gribouillages du jeune homme. Elle connaissait ce genre de dessins sans aucun sens, il s’agissait tout juste d’une expression de son inconscient. Enfin en ce qui concernait les petits symboles… Pour ce qui était de la lettre qui revenait sans cesse, Caliel n’était pas assez stupide pour ne pas en comprendre le sens. Il s’agissait probablement d’un prénom ou d’un nom… D’une personne très aimée ou en tout cas, quelqu’un qui ne quittait pas les pensées du jeune homme. Dans le fond, peut-être était-ce la raison de son intérêt soudain pour un lieu qu’il avait évité jusque là…

À cette pensée, un léger tiraillement se fit sentir dans la poitrine de la serveuse. Ce n’était pas quelque chose dont elle avait l’habitude, si bien qu’il lui fallu quelques secondes avant de comprendre de quoi il s’agissait. Comment pouvait-elle décrire cette sensation ? Probablement comme un poing se refermant sur son cœur, ou alors un espèce de vide s’ouvrant au creux de son ventre. Étrange. Elle n’avait aucune raison de vivre ça, après tout elle n’avait aucun droit sur lui. Néanmoins, si elle était honnête, ne serait ce qu’avec elle-même, c’était bien ça. Une jalousie infondée et surtout inacceptable.
Se sentant découverte sous son regard appuyé, Caliel sentit ses joues rosirent légèrement. Elle espérait sincèrement qu’il ne soit pas capable de lire dans ses pensées, Lund lui avait dit que ça existait. Sinon, il était en train de découvrir non seulement tout le désordre de la vie qu’elle s’était construite actuellement et ce que sa présence lui inspirait. Chose qu’elle ne se sentait pas prête à admettre pour l’instant.

Heureusement, lorsqu’il reprit la parole, ce fut pour lui donner la permission de lui poser la question qu’elle voulait. Soulagée de l’entendre, un sourire en coin, elle reprit un peu de contenance. Bon, elle n’était pas là pour minauder, ce n’était pas son genre d’ailleurs !

« Je voulais connaître… » S’arrêtant un instant, elle se mordit la lèvre pour cacher son amusement. En vérité, il lui semblait clair qu’il n’était pas du genre à raconter toute sa vie à une illustre inconnue. Aussi ne devait-il pas avoir envie que sa question soit trop personnelle… Heureusement pour lui, elle n’en avait pas l’intention. « Je voulais connaître, votre prénom. »

Après tout, ce n’était qu’un minimum… Il pouvait bien lui donner un faux prénom s’il le désirait mais elle ne pouvait pas continuer le surnommer le bel inconnu quand elle pensait à lui. C’était étrange, voir un peu trop révélateur… même pour elle !

« Et je sais que je n’ai demandé qu’une seule question mais… est ce que je peux aussi vous emprunter votre stylo bille ? »

Le simple fait d’avoir vu l’objet depuis son bar lui avait offert un nouveau flash alors peut-être que si elle le tenait… ou même l’utilisait… Rien que de voir le petit bout de plastique entre ses doigts, le faire rouler entre ses doigts avant d’appuyer la mine sur le papier… Peut-être en provoquerait-elle un nouveau ? Et peut-être que cette fois, les images ne serait plus floues, les visages prendraient alors un sens nouveau… C’était beaucoup d’espoir et le risque de dévoiler sa faiblesse là, à cette place même. Néanmoins, elle ne se sentait pas pour autant en danger face à cet homme…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Noah… Un prénom doux à l’oreille, elle devait bien l’admettre. Le remerciant d’un simple mouvement de tête, elle se contenta de le répéter plusieurs fois mentalement. Il y avait une certaine mélodie dans ce mot si court, surtout quand il el disait lui-même avec cette voix qui la faisait vibrer comme une corde de guitare tendue. Et en même temps, le mystère restait entier. Elle ne savait pas pourquoi elle avait espéré que son prénom lui en apprenne d’avantage sur lui, ça n’avait pas beaucoup de sens. Mais contrairement à ce qu’elle avait imaginé, il restait toujours aussi secret à ses yeux. Comme un journal intime verrouillé dont la couverture laissait deviner tout un monde caché derrière une serrure impossible à crocheté.

« Noah… » Cela n’avait été qu’un murmure tandis qu’elle pensait à voix haute. « Vous m'intriguez. »

N’insistant pas pour autant sur cette curiosité qu’il lui inspirait, Caliel enchaîna directement. Ce n’était pas nécessaire de s’étaler sur le sujet ! Surtout qu’elle risquait d’entrer sur un terrain qu’elle maîtrisait mal et ce n’était pas à l’ordre du jour… Même si malheureusement, elle sembla le couper alors qu’il s’apprêtait à parler. Mince, elle avait horreur de faire ça… Non seulement parce qu’elle avait l’impression de monopoliser le crachoir mais en plus parce que, dans le cas présent, elle aimait l’entendre parler. Contrairement à elle, il ne déversait pas un flot de paroles à chaque intervention aussi voulait-elle s’arrêter pour l’écouter quand l’occasion se présentait.
Heureusement pour elle, elle n’eut pas à attendre longtemps puisqu’il accepta de lui prêter son bien. Reconnaissante, elle se redressa sur son siège comme une enfant résistant difficilement à l’envie de se jeter sur un cadeau un jour d’anniversaire. Elle failli presque ne pas entendre qu’il continuait tant elle était obnubilée par le petit objet.

« Reviens ? C’est un prénom peu courant... » Dans un éclat de rire léger, elle laissa son regard aller du stylo à Noah. « J’ai bien peur qu’à côté, le mien fasse pâle figure… Je me nomme Caliel. »

À peine eut-elle prononcé ce dernier mot, elle lui prit délicatement l’objet et le fit tourner entre ses doigts tandis qu’un bourdonnement naissait à l’arrière de son crâne. Elle connaissait cette sensation, bien que cette fois, elle lui semblait plus forte. Et très vite, elle se senti engloutie toute entière.
Paupières closes, la jeune fille attrapa l’un des cartons qui servaient de sous verre et se mit à écrire frénétiquement deux prénoms. Liam. Louise. Même lorsqu’elle ouvrit les yeux, c’était comme si elle était en transe. Le carton se noircissait à vue d’œil et bientôt, elle se mit à écrire par-dessus son premier jet, si bien que les prénoms entrelacés ne ressemblaient plus qu’à un fouillis sans aucun sens.

« Je dois le protéger… Veiller à ce que son chemin soit sûr… mais il ne comprendra pas… la lettre. Il faut qu’il lise la lettre… Il est si courageux… et obstiné… Il ne comprendra pas… pourtant, il faut qu’il reste en sécurité… Liam ! »

Laissant retomber le stylo sur la table, Caliel revint à elle et jeta un regard horrifié à son œuvre. Elle n’avait jamais eu une telle réaction. En temps normal, elle se contentait d’entendre des voix. Là, son corps semblait avoir agi sans attendre son consentement.  Plus encore, elle avait l’étrange sensation d’avoir divagué à voix haute. Portant une main à ses lèvres, elle repoussa le petit tube de plastique en direction de Noah, sans plus oser le toucher directement. Elle avait cru qu’il ne s’agirait que d’un simple flash, rien de plus. Or, là, elle venait de  jouer une scène des plus effrayantes à son compagnon de table. Il allait non seulement la prendre pour une folle mais en plus elle n’était pas certaine de pouvoir lui donner tord… En effet, elle venait d’écrire deux prénoms de personnes qu’elle ne connaissait pas. Si ce n’est en rêve.

« Hmm… Désolée pour ça. »

Se levant, elle ramassa les verres vides sur la table. Après le spectacle qu’elle venait de lui offrir, mieux valait qu’elle le laisse un peu tranquille. Non pas que ça la mette dans tous ses états… Non, elle ne se souvenait même pas de ce qu’elle avait pu dire. Mais quand même… Passant les doigts sur les prénoms griffonnés, elle resta pensive un moment.

« Vous voulez boire autre chose ? »

Relevant les yeux dans sa direction, elle attendit de savoir ce qu’il désirait avant de prendre la poudre d’escampette. Et au passage, elle attrapa le carton et le fourra dans la poche de sa tenue, elle aurait de quoi réfléchir, plus tard.

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Surprise, elle baissa les yeux sur leurs mains jointes tandis qu’il l’empêchait de fuir. Comme la sienne semblait petite et fragile en comparaison de celle de Noah. En revanche, elle ne s’était pas trompée, il avait les mains chaudes et douces. Le genre de mains réservées à la caste des hommes travaillant à des tâches moins physiques mais plus intellectuelles. Pourtant, maintenant qu’elle le voyait debout, elle ne pouvait pas dire qu’il était frêle. Grand, ça oui, rien que le trajet que venait d’effectuer son regard de leurs mains à son visage, lui avait semblé durer une éternité !
Mais peut-être était ce parce qu’elle se sentait un peu cotonneuse et qu’elle avait prit le temps de le détailler. D’ailleurs peut-être était ce aussi pour cette raison que malgré son aspect mince, elle avait la sensation d’être face à une force physique bien plus importante que ce qu’il ne laissait paraître… Mais mon dieu qu’il était grand ! À cette pensée, elle se mit sur la pointe des pieds pour comparer leurs statures et sourit en se rendant compte que même comme ça, le sommet de son propre crâne ne lui arrivait qu’au menton. Bon ok… Elle devait être un peu vaseuse pour en oublier de mettre ses filtres convenant aux normes de la société. Mieux valait qu’elle se taise, le temps de retrouver ses esprits.

Aussi le laissa-t-elle faire quand il la fit s’asseoir sous prétexte qu’elle était un peu blanche. Chose qu’elle n’aurait sans doute pas accepté en temps normal car cela voulait dire qu’il avait repéré une faille dans son armure d’amazone. Car oui, malgré sa situation actuelle, Caliel refusait de paraître faible. Elle n’était pas une demoiselle en détresse… Pourtant lorsqu’il s’accroupit face à elle, tout ce qu’elle vit c’était son regard noisette un peu inquiet. Alors sans trop réfléchir et dans le but de le détendre un peu, elle se pencha et répondit à son ordre dans un sourire doux :

« Je ne bougerais pas, mais ne soyez pas si sérieux, ce n’est pas grave… en plus, je n’ai pas eu le temps de vous le dire tout à l’heure, mais vous avez un si beau sourire quand vous vous laissez aller… »

Reprenant sa position de départ, elle s’appuya sagement au dossier de son siège sans rien ajouter. Après tout, elle n’avait fait que dire tout haut ce que d’autres devaient certainement penser. Il devait avoir l’habitude…Comment ne pas remarquer ses fossettes et ses yeux pétillants alors que visiblement, ce genre d’occasion se faisait trop rare. Pour un peu, elle aurait tout fait pour le provoquer à nouveau mais elle avait promis d’être sage, le temps qu’il… qu’il quoi d’ailleurs ?

C’est à se moment qu’elle le vit derrière le comptoir de son bar. Lieu interdit aux clients, par excellence. Si Lund entrait maintenant, ça allait être leur fête à tous les deux… Sans parler du fait que tous les clients les regardaient tour à tour avec une curiosité qui mettait la jeune femme mal à l’aise. Peut-être devrait-elle le rejoindre pour le rappeler à l’ordre ? Non, elle n’en avait pas envie. En plus, elle préférait rester dans son coin pour attirer le moins possible l’attention des habitués. Du moins, jusqu’à ce qu’elle se sente un peu plus en forme. Elle se donnait quelques minutes… ça devrait suffire. Ça et, visiblement, un verre de jus de citrouille que lui apportait Noah.

« Je… je ne… » S’arrêtant avant de bougonner sur le fait qu’elle n’était pas malade, elle prit le verre avec reconnaissance. « Merci Noah… »

Doux mélange de frustration et de gratitude, les émotions qui s’éveillaient en Caliel la chamboulait sans doute autant que ce qui venait de se produire. Elle n’aimait pas avoir besoin qu’on veille sur elle et pourtant en ce moment précis, alors qu’il continuait à l’observer tel un loup protecteur, elle se sentait loin de tout danger, toutes souffrances.  Sensation qu’elle savait trompeuse après ce qui venait de se passer. La souffrance faisait partie de son quotidien, qu’elle tente de l’enfermer dans une boite de Pandore ou non.

« J’espère ne pas avoir abîmé Reviens avec mes âneries… »

En temps normal, l’humour lui permettait de détourner l’attention et faire paraître tout cela pour banale, voir normal. Mais dans le cas présent et face à cet homme, Caliel savait déjà qu’elle ne pourrait pas s’en sortir avec une pirouette de ce genre. Alors, hésitante, elle but une gorgée à  son verre avant de reprendre la parole.

« Je peux vous poser une question ? » Se mordant la lèvre un peu mal à l’aise, elle se pencha à nouveau vers lui pour murmurer de manière à ce que seul lui l’entende. « Est-ce que d’autre que vous on vu ce qui vient de se produire ? »

Voir n’était pas le bon terme, entendre aurait été plus adéquat dans le cas présent. Mais la sorcière ne parvenait pas à mettre ses idées au claire. Et sa seule certitude était qu’elle avait écrit comme une folle furieuse…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Dans la position actuelle, Caliel surplombait le jeune homme qui était resté accroupit face à elle. Comme c’était étrange de voir son visage sous cet angle, relevé face à elle, c’était comme s’il lui était offert. Elle avait tout loisir de le détailler… Et pour un peu, si elle avait mieux connu le jeune homme, sans doute n’aurait elle pas été capable de retenir ses mains qui désiraient découvrir chaque angles qui composaient ce faciès… Ne serait ce que laisser le bout de ses doigts en suivre les contours, en connaître les courbes… Après tout, ne disait-on pas que la mémoire du corps est la plus puissante ?
Cette excuse mentale était assez ridicule, même si elle n’avait été desservie qu’à son esprit loin d’être dupe… Et heureusement, la sorcière eu le temps de boire une gorgée de jus de citrouille pour masquer le sourire révélateur qui venait de se dessiner sur son visage. Si elle en venait à se raconter des histoires à elle-même, elle ne s’en sortirait jamais. Si elle avait envie de le toucher, c’était tout simplement parce qu’il l’attirait comme la flamme d’une bougie ensorcelle un papillon. Ça n’avait aucun sens et c’était un peu inquiétant pour elle mais c’était la réalité et elle devait l’accepter. Le tout était de rester maîtresse d’elle-même et éviter de se brûler les ailes.

Surtout maintenant qu’elle avait réussi à lui jouer une scène de possédée. Pensive, elle reposa son verre dont elle avait bu à peine la moitié, et à l’aide de mouvements délicats, elle essaya de remettre ses cheveux derrières ses oreilles, remettre ses manches un peu mieux ou encore lisser son tablier. Tous ces gestes parasites n’étaient qu’un faible reflet du bouillonnement qui œuvrait en elle tandis qu’elle posait les yeux sur l’homme qui ne la lâchait pas du regard. Il ne lui demandait rien pourtant, il était clair qu’il s’inquiétait pour elle. Devrait-elle lui expliquer sa situation ? Après tout, si vraiment, il connaissait les auteurs du Phénix, peut-être pourrait-il faire paraître une petite annonce pour elle avec pour intitulé : « demoiselle sans cervelle et sans identité recherche anciennes connaissances. ». Le tout sans photo, histoire de protéger son anonymat… Ridicule.
Non, elle ne voulait pas d’annonce, néanmoins, elle avait envie de lui raconter. Lui parler de sa vie emplie de mystère qu’elle ne parvenait pas à résoudre seule… Peut-être que son regard extérieur lui serait utile ? Peut-être serait-il la bonne personne à connaître dans cette histoire ? A moins qu’au contraire, son instinct la trompe complètement… et qu’en vérité, il soit la dernière personne à qui se confier… Après tout que savait-elle de lui ? Si peu… Si ce n’est qu’il utilisait un objet moldu !

Et en parlant de ce stylo à bille, elle était heureuse de ne pas l’avoir abîmé et que le jeune homme ne semble pas plus choqué que ça de la manière dont s’était déroulé ce passage. Bien c’était sans doute l’occasion rêvée de changer tout doucement de sujet.

Ce que son rire vint assez vite lui confirmer. Rassurée de le voir se détendre un peu, Caliel se permit elle aussi de glousser en entendant sa remarques. Il avait raison, elle passait son temps à vérifier qu’elle pouvait lui poser des questions. Ce n’était pas son habitude. Elle qui avait naturellement tendance à questionner les gens avec qui elle se permettait de discuter… Voilà qu’avec lui, elle jouait les prudes. Alors soit, elle avait été réellement conditionnée à respecter la discrétion des lieux. Soit, et c’était plus probable, Noah l’intimidait assez pour qu’elle y aille sur la pointe des pieds. Elle faillit s’en excuser et puis fini par opter pour une petite moue qui voulait dire le même. Pour la prochaine question, promis elle s’y prendrait autrement !

Mais là tout de suite, elle était soulagée que plus personne ne s’intéresse à eux. Elle n’aimait pas trop attirer l’attention sur elle. La plupart du temps, la jeune femme se contentait de faire son boulot tout en se montrant aimable avec la clientèle ou en sympathisant réellement avec les habitués. Mais au-delà de ça, elle était presque une ombre évoluant entre les tables sans émettre le moindre bruit.

« C’est-à-dire qu’entre vous et moi, il y a une différence de format… » Un sourire amusé vint appuyer ses propos tandis qu’elle laissait son propre regard glisser le long de son corps de la tête aux pieds avant de refaire le trajet inverse pour à nouveau se fixer dans les siens. « Ils ont dû se demander combien de verres ils ont bu, s’ils vous ont pris pour moi… »

Évidemment, Caliel savait que certains allaient vouloir savoir pourquoi, lui, avait eu l’autorisation de farfouiller dans son bar. Qui il était pour elle et s’il était gentil avec elle. Après tout, Andy par exemple, avait cette fâcheuse tendance à vouloir la protéger comme un père. C’était adorable en général mais un peu oppressant au quotidien. Et là, d’ailleurs, s’il voyait leurs positions, il allait se faire tout un film. Alors amusée par avance, Caliel se racla doucement la gorge.

« J’aime beaucoup vous regarder sous cet angle… Mais si vous gardez cette position, certains ici vont croire que vous êtes en train de me demander en mariage… »

Se mordant la lèvre, elle n’ajouta rien de plus pour éviter qu’un éclat de rire ne lui échappe. Elle ne savait pas très bien quelle réaction cette phrase allait produire, aussi attendait-elle de voir ce que Noah allait faire…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Baissant la tête dans un sourire un peu timide, Louise cacha le rose qui lui montait aux joues. Les compliments la mettaient toujours dans un état de pudeur qu’elle contrôlait mal. Surtout parce que, sans se trouver laide, elle se trouvait comme étant dans la norme. Et ne comprenait pas qu’elle puisse retenir l’attention de qui que ce soit.
Certes, il pouvait arriver que les hommes de la taverne lui disent de jolies choses, mais ce n’était pas pareil dans le cas présent. Déjà parce que la plupart étaient des hommes cherchant juste à se montrer sympathique avec celle qui leur apportait leurs verres mais en plus parce qu’aucun ne ressemblait à l’homme qui lui faisait face.
Se reprenant tout en espérant secrètement que son trouble ne s’était pas vu au-delà du raisonnable, Caliel releva la tête et tenta un haussement d’épaules, qui se voulait détaché.

« Vous êtes gentil, mais je suis certaine que ce tablier vous irait aussi bien qu’à moi… »

Après tout, ce bout de tissu n’avait rien de particulièrement féminin et n’avantageait en rien la silhouette d’une femme. Et puis d’ailleurs, il n’avait pas été conçu dans ce but. Elle n’était pas ici pour jouer la séductrice de ces messieurs. Non, d’ailleurs elle n’aurait pas su comment faire. Sa nature simple et sincère l’empêchait de jouer à ce genre de jeux. Et heureusement, Noah ne sembla pas se l’imaginer non plus quand elle lui annonça que les gens allaient finir par penser qu’une demande était en train de se dérouler à leur table. Même si l’espace de quelques secondes, le sang de la jeune femme ne fit qu’un tour en le voyant rester silencieux. Encore un peu et elle se serait imaginée qu’il y réfléchissait !

Dans un éclat de rire, la jeune femme changea de position pour lui faire face maintenant qu’il s’était replacé sur sa chaise d’origine. Et tandis qu’il terminait son verre, elle reprit son calme tout en réfléchissant à sa dernière remarque. Un petit ami jaloux ? C’était une bonne question… Depuis un an maintenant, elle vivait dans ce lieu et jamais aucun homme ne s’était présenté comme étant l’homme qu’elle aurait aimé dans son passé… Quant aux hommes de sa vie actuelle et bien c’était soit des clients aimables avec qui elle n’avait aucune relation ou Lund avec qui la relation était amicale mais sans ambigüité. Ce dernier l’avait sauvée et souvent, la jeune femme s’était demandé ce qui les unissait réellement. De l’amour ? Elle n’y croyait pas vraiment. Déjà parce qu’en un an, aucun des deux n’avaient tenté quoi que ce soit et enfin parce que jamais elle n’avait ressenti une attirance similaire pour son ami que pour cet étrange Noah. Or ne fallait-il pas au moins un peu d’attirance pour avoir de l’amour ?

« Pas que je sache… »

Jouant du bout des doigts le long de son verre, elle se rendit alors compte que la question sous entendue de Noah avait éveillé sa propre curiosité. Jusque là, elle s’était imaginé qu’il était célibataire. Mais il semblait plus proche de la trentaine que la vingtaine, et c’était un homme séduisant, attentionné et visiblement intelligent. Comment pouvait-il être encore seul ? Ça n’avait pas de sens… à moins qu’il soit divorcé. Cela pourrait expliquer la première opinion qu’elle s’était faite de lui lorsqu’elle l’avait vu entrer. Meurtri par la vie… voilà ce qu’elle avait pensé de lui. Et pourtant, depuis qu’elle parlait avec lui, elle se rendait compte qu’il n’était pas seulement ça, non, il y avait bien plus… Ne serait-ce que quand ses yeux s’illuminaient tandis qu’un sourire apparaissait.

« Vous devez avoir l’habitude qu’on vous le dise, mais vous êtes un homme comme on en rencontre peu, Noah… »

Le regard fixé sur lui, la jeune femme venait de livrer le fond de sa pensée sans même y réfléchir. Ce n’était pas tellement qu’elle veuille le complimenter, même si, venant d’elle s’en était un, mais il s’agissait d’une simple vérité qu’elle énonçait à voix haute.

« Est-ce que vous désirez un autre verre ? »

Elle ne voulait pas le pousser à la consommation mais le rôle de serveuse lui collait à la peau. Et puis, c’était un rôle qu’elle gérait parfaitement contrairement au reste. Il lui suffisait d’être aimable et ramener les verres demandés sans ennuyer le client. Simple et sans risque. Pas comme discuter avec un parfait inconnu séduisant à qui elle avait envie de déballer ses secrets sans réfléchir…

(c) AMIANTE