Lundi 7 Mars

Des mains légèrement tremblantes faisaient glisser de longues mèches sombres, les entrelaçant dans un mouvement incertain. La jeune femme qui l’effectuait face à un miroir se regardait avec intensité de ses yeux bleus argentés. Qui était-elle ? Et cette natte qu’elle s’évertuait à nouer par-dessus son épaule… était-ce une habitude d’avant ou seulement un acte qu’elle avait apprit à faire depuis peu ?
Elle avait beau se dire que ce genre de petits détails ne devaient pas la préoccuper, pour le moment, une part de son esprit ne cessait de chercher. En tout sens, dans la moindre action, une voix, un regard,… Quelque chose d’essentiel lui faisait défaut. Elle pouvait le sentir au creux de son âme. Comme si elle n’était pas complète.

Oh bien sûr, elle ne cherchait pas à se plaindre car dans son malheur, elle avait beaucoup de chance. Non seulement, elle était en vie mais en plus, elle avait la chance de s’être trouvé un ami fidèle. Lund l’avait réellement sauvée et lui avait offert un toit, une existence et surtout, du temps pour se reconstruire et trouver ce que son esprit gardait jalousement caché derrière un voile de protection. En échange, il ne lui demandait pas grand-chose, juste un coup de main pour maintenir son établissement en ordre et digne de ses clients…

« Tu es prête ? »

Surprise de ne pas l’avoir entendu entrer dans la pièce, Caliel sursauta et lâcha le bout de sa natte qu’elle continuait à triturer inutilement. Lund pouvait être si discret quand il le désirait, que la jeune femme en oubliait presque sa présence. Lui qui ne voyait qu’au travers du regard de son animal de compagnie, était pourtant aussi agile qu’une ombre lorsqu’il évoluait…

« Oh oui, je terminais d’attacher mes cheveux pour éviter qu’ils ne me dérangent durant mon service. »

Sur ces mots, elle lissa sa jupe dans une envie de contenance à peine voilée et lui offrit un sourire plein de gratitude. En cet instant, elle préférait garder toutes ses questions dans les tiroirs de son esprit, cachées en attendant de réellement pouvoir analyser les flashs étranges qui lui étaient apparu tandis qu’elle se préparait. Après tout, elle le savait, souvent lorsqu’elle croisait son propre regard, c’était comme si un fourmillement se déversait le long de sa peau, à la recherche d’un sens. Comme si ce regard n’était pas le sien mais plutôt celui d’une autre personne, quelqu’un qui l’avait souvent regardée de la même manière…
Mais peu importe, pour le moment, elle avait à faire. Les clients de la taverne étaient visiblement assez nombreux pour que Lund désire qu’elle le rejoigne en salle plus tôt que prévu…

Alors, sans un mot de plus, elle prit son service. Cela lui faisait du bien de pouvoir s’activer derrière le bar ou en salle, cela lui donnait l’impression d’être utile. Et puis, elle aimait la compagnie des personnes qui venaient dans ce lieu. La plupart étaient des habitués, venant plusieurs fois par semaine, ils avaient leur table assignée, leurs petites habitudes, leur boisson… bref, ils faisaient presque partie des lieux et leur loyauté rassurait étrangement Caliel qui se sentait comme en famille.

Pourtant, lorsque son regard se posa sur un jeune homme installé à une table généralement abandonnée, elle n’en fut pas pour autant surprise. Les gens de passage avait eux aussi leur place ici. Après tout, c’était la volonté du propriétaire d’offrir un lieu bienveillant envers tous. Surtout dans le cas d’un homme qui semblait avoir été meurtri par la vie. Enfin, ce n’était là qu’une supposition de la part de la jeune femme, néanmoins tout en lui faisait échos en elle. C’était difficile à expliquer de manière consciente pourtant, entre son regard de nuit tourmentée, son attitude et l’espèce d’aura qu’il projetait… Il semblait que quelque chose chez lui, avait été brisé.

« Ma bichette, quand tu auras fini de compter les lutins qui se battent en duel dans ton esprit, tu m’apporteras mon whisky pur malt ? »

Battant des paupières en se redressant, Caliel se rendit compte que George, son habitué des jours impairs de la semaine, n’avait pas tord. Appuyée au comptoir, elle venait de passer un temps indéfini les sourcils froncés et le regard perplexe dans le vide. Bon au moins, elle ne venait pas de passer ce temps à fixer l’inconnu. Ça aurait pu paraître bizarre. M’enfin, il fallait qu’elle s’attèle à sa tâche si elle voulait que tous les verres soient remplis et les clients satisfaits…
C’est d’ailleurs à force de grande rasade, de sourire et d’une démarche fluide qu’elle pu contenter chacun d’entre eux. Elle avait beau une femme joyeuse qui ne s’en laissait pas compter, son rire léger et ses pas dansants enchantaient les plus vieux de la salle sans pour autant attirer l’attention de tous.

« Que puis-je vous servir ? »

La question avait été posée avec douceur afin de ne pas le surprendre au cas où il ne l’aurait pas entendue approcher pourtant le regard que Caliel posait sur cet étrange inconnu était moins délicat. Elle ne désirait pas le mettre mal à l’aise mais la jeune femme était d’une nature plutôt franche. Et se syeux, qu’elle ne pouvait pas contrôler sur ce point, avaient cette tendance à fouiller l’âme des personne à qui elle décidait de parler. Comme si elle pouvait tout savoir de lui, rien qu’en le regardant. C’était inconscient mais son esprit carburait tandis qu’elle se faisait une image mental de cet homme aux cheveux aussi noirs qu’une nuit sans astre…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Caliel en entendant la voix du jeune homme. À moins que ce soit la manière dont il détourna le regard, toujours est-il que cet homme inconnu lui inspira rapidement une confiance inattendue entremêlée à une curiosité taquine. Pourquoi ? Elle l’ignorait, surtout qu’à première vue, il donnait plutôt l’impression d’être un homme secret, peut-être un peu froid mais sans doute de manière à mieux repousser les petits curieux… Dommage. Ça ne l’arrêterait pas.

« Une bière, sans café. C’est noté ! » S’exclama-t-elle joyeusement avant de s’éloigner.

Bon à en croire la manière dont cet homme regardait les lieux depuis son arrivée, Caliel ne pouvait se tromper en supposant que c’était la première fois qu’il posait les pieds ici.  Étrangement, elle avait l’impression qu’elle se serait souvenue de lui s’il avait déjà été client ici… Non seulement du fait de son visage atypique. Anguleux, assorti à des lèvres larges et charnues, que Caliel ne demandait qu’à voir sourire. Mais aussi un long nez pincé, lui-même surplombé par des yeux en amande passant selon la lumière, de teintes caramels à de vraies billes noires insondables.
Mais au-delà de son physique remarquable et de sa grande taille, c’était aussi l’aura qu’il projetait qui retenait l’attention de la demoiselle. Elle ne savait pas comment décrire ce qu’elle percevait, s’il s’agissait d’ondes, de vibrations ou bien tout simplement d’une sorte d’électricité… Mais il était clair que cet homme avait vécu pas mal de choses et il était impossible pour la sorcière de l’ignorer pleinement.

Aussi s’était-elle décidée à en savoir un peu plus sur lui. Elle ne violerait pas l’esprit de discrétion et de respect de la vie privée des clients qui côtoyaient les lieux mais… S’il acceptait, elle avait juste envie de partager une bière en sa compagnie, l’observer et en apprendre un peu sur ce que cachait l’amas de boucles sombres du jeune homme.
D’un geste sûr, elle servit les bières, raclant la mousse comme le lui avait apprit Lund. Ensuite, elle saupoudra les choppes d’une pincée d’épices bien connues dans la taverne pour relever la bière et se redirigea vers la table de l’inconnu.

« Voici la bière… Vous permettez que je me joigne à vous ? »

Penchant la tête de côté pour le regarder sous un autre angle et lui laisser le temps de réagir, mais en moins d’une seconde, elle changea d’avis et prit les devants en s’asseyant face à lui. Puis avec un sourire empli de malice, elle leva sa choppe pour trinquer.

« En l’honneur de votre première visite chez nous ? Il me semble que je ne vous ai jamais vu… Pourtant en règle générale, ma mémoire ne me fait pas défaut… en ce qui concerne nos visiteurs… »

Ces derniers mots, plus murmurés pour elle-même qu’autre chose, adoucirent la jeune femme. Détournant le regard, elle observa sans un mot les journaux, repoussé un peu plus loin. Elle qui se sentait échauffée par l’envie de percer à jour ce mystérieux jeune homme, la voici qui se demandait si en vérité… elle ne devrait pas le connaître. Non… il aurait réagit autrement. Du moins, elle l’espérait car elle avait réellement besoin que ceux qui la connaissait, le lui fasse savoir…

« Qu’est ce qui vous amène dans la région ? »

Avalant une gorgée de sa boisson, elle sourit en observant la première page de la résurrection du phénix. Même si elle ne se souvenait pas de tout ce qui y était conté, elle aimait les plumes qui y rédigeaient. Elle y sentait une passion des mots mais aussi de justice et de vérité. C’était sans doute ce qui lui plaisait le plus, ce qui l’avait accrochée dés le début et lui donnait toujours un peu plus envie d’en savoir plus…
Un mouvement du jeune homme attira son attention et la ramena à la réalité. D’un clignement d’yeux, elle lui offrit un sourire en coin tandis qu’elle focalisait son attention sur lui…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Secouant la tête en signe de négation, la jeune femme s’installa en tailleur sur son siège. Elle ne lui demandait pas de changer d’état d’esprit ou d’être différent de lui-même pour être de bonne compagnie. Après tout, c’était elle qui s’imposait à sa table et elle le faisait parce que c’était bien son attitude qui l’avait attirée. Et puis premièrement, rien ne pouvait prouver à cet homme que sa compagnie, à elle, serait meilleure et deuxièmement, au pire elle n’avait qu’à se lever et retourner à son travail… Il y avait assez de clients pour l’occuper.
Se penchant un peu plus vers lui en signe de confidence, elle chuchota amusée :

« Je suis certaine du contraire… »

Appuyant ses paroles d’un regard appuyé, elle plissa les yeux une seconde avant de reprendre sa position initiale. Et sourit en regardant le regard perplexe qu’il semblait porter aux épices ajoutées à la bière. Mais ne voulant pas le couper, elle se contenta d’observer si malgré cette découverte, il tenterait la boisson. Et puis, elle appréciait le timbre de sa voix, à la fois grave mais douce. Comme s’il n’avait pas l’habitude de parler avec des inconnus, comme si cette voix ne voulait pas trop attirer l’attention. Et puis s’était agréable de voir son visage s’animer tandis qu’il parlait… Ses expressions et les mimiques qui lui venaient naturellement le rendaient plus… vivant ? Ou tout du moins, donnait l’impression de laisser apparaître une autre facette de lui.

« Et bien… si vous voulez mon avis, c’est une bonne chose d’être venu découvrir les lieux par vous-même ! Jusque là, que pensez vous de la taverne ? »

Bon, en temps normal, elle ne posait pas cette question aussi rapidement mais elle avait eu un goût de trop peu. Donc pour encore l’entendre parler et ne pas se montrer indiscrète en lui demandant des informations personnelles, elle posait une simple question. Enfin, l’espérait-elle. Parfois, les visiteurs de la taverne préféraient juste siroter leur verre en toute discrétion…

Pourtant, lorsqu’un peu plus tard il reprit de lui-même la conversation, Caliel lui offrit un sourire heureux avant de boire une nouvelle gorgée de son breuvage. S’il décidait de parler sans qu’elle ne le l’y invite avant, peut-être que dans le fond, sa présence ne le dérangeait pas et qu’il avait même envie de discuter un peu ?

D’un geste mesuré, Caliel posa sa choppe sur le côté et ramena le journal en question au centre de la table. Celui-ci datait de quelques jours mais à en juger par le froissement qu’elle sentait sous la pulpe de ses doigts, ils avaient été lu et relu de nombreuse fois. Ce n’était pas surprenant, puisque effectivement, le trouver en libre service était chose rare. Elle le savait pour l’avoir entendu de la part de bien des clients. Mais Lund tenait à fidéliser les résistants et il était assez malin pour leur donner exactement ce dont ils avaient envie… Un lieu calme, sûr et divertissant.

« Oui, il paraît… Pourtant, certain des auteurs qui travaillent pour la résurrection du phénix ont une belle plume… »

Le regard un peu perdu, elle laissa glisser les doigts sur le nom de celui qui avait écrit l’article visible. Elle savait que la plupart de ces journalistes se cachaient sous un nom de code, mieux valait que ce soit le cas d’ailleurs… Mais elle aurait aimé les remercier par elle-même pour leur courage et leurs mots. Car même si seuls certains sorciers les lisaient, ils apportaient le courage, le réconfort mais aussi la vérité…

« J’attends avec impatience le prochain, pour être franche… Je me sens parfois si loin de la réalité ici … »

A ces mots, Caliel cligna des yeux, elle s’était laissée aller à ses pensées et n’avait pas prit le temps de filtrer ses paroles. Certes, elle se sentait en confiance avec cet inconnu, mais quand même, elle ignorait tout de lui. Elle n’était pas obligée de s’épancher de cette manière. D’un haussement d’épaules, elle leva les yeux au ciel.

« Enfin bref, vous venez souvent le long de la frontière ? »

D’un signe elle fit comprendre à un client qu’elle l’avait vu et dés qu’elle aurait eu la réponse de son voisin de tablée, elle irait s’occuper de sa commande…
Il pouvait bien attendre deux petites minutes.

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

Surprise, Caliel fixa avec un peu plus d’attention le jeune homme. Il semblait bien au courant de l’évolution du journal… Se pourrait-il qu’il fasse partie des journalistes anonymes qui y dénonçaient les maux du monde sorcier ? Si c’était le cas, sans doute devrait-elle le remercier… C’était grâce à leurs mots vrais qu’elle avait réussi à retrouver un semblant de sens dans sa nouvelle vie. Après tout, c’était eux qui lui avaient dépeins son univers perdu dans les tréfonds de son esprit embrumé quand elle n’osait en demander d’avantage à son entourage. Telles les pièces d’un puzzle s’emboitant lentement, les articles, toujours écrit avec un regard honnête, lui procuraient une carte du monde. De son monde. Même s’il ne tournait pas rond, c’était le sien et  elle désirait y retrouver une place.

Mais était ce bien l’un d’entre eux ? Baissant les yeux sur les mains qui tenaient la chope apportée un peu plus tôt, elle en vint à les détailler silencieusement. Certes, c’étaient de grandes mains viriles d’un homme ayant déjà vécu… pourtant, elles ne semblaient pas calleuses ni abîmées, par un travail manuel journalier. Malgré cela, elle ne constatait aucune trace d’encre sur le bout de ses doigts. Aussi, s’il écrivait à la plume, il devait se montrer plus que soigneux ou alors passait-il son temps à effacer toutes traces maculant sa peau…
Et même si ce sorcier n’était pas pâlichon, son teint n’était pas buriné par le soleil. Non, selon elle, il devait avoir un métier lui procurant l’opportunité de travailler à l’intérieur. Enfin… Si elle tenait son imagination en laisse et restait objective, elle devait bien admettre que rien dans tous ces détails ne pouvaient lui assurer être en face d’un phénixien, comme elle s’amusait à les nommer.

« J’en suis ravie… C’est important que ceux d’entre nous qui manient bien les mots, fassent entendre la voix des plus faibles… »

Se mordant la lèvre l’espace d’une seconde, la sorcière eu un demi sourire tandis qu’elle réfléchissait. Certes, elle n’était pas certaine que cet homme soit l’un des journalistes qu’elle admirait pour leur volonté farouche de dévoiler la vérité… mais si c’était le cas… S’il travaillait ne serait ce qu’un peu dans la chaîne qui donnait naissance au journal… Elle avait envie de lui faire savoir ce que ces mots apportaient au reste du monde. Ne serait ce que pour qu’il ait au moins l’occasion de toucher du doigt ce qu’il offrait.

« Si vous saviez… Lorsqu’il y a une nouvelle parution… Les gens viennent ici pour partager l’espoir qui les animent, il y a parfois même des lectures à hautes voix… C’est beau de voir tous ces gens qui soutiennent ces inconnus et qui se sentent entendus… »

Un frisson la parcouru tandis qu’elle revoyait la scène. Ce n’était que quelques feuilles assemblées sur lesquelles les mots avaient été couchés et pourtant certains les tenaient serrées comme des trophées de guerre.

« Vous devriez venir si vous en avez l’occasion, le patron offre toujours un verre… Et puisque vous semblez être dans le secret des dieux, la date de parution ne devrait pas vous surprendre… »

À ces mots, un nouveau sourire sibyllin éclaira le visage de la demoiselle. Elle ne le presserait pas de questions, pour cette fois, mais si l’occasion se présentait un jour, sans doute chercherait-elle à en avoir le cœur net. Après tout, l’atmosphère de la taverne était conçue pour offrir à tous un cadre de respect de l’intimité et du secret, Lund le lui rappelait souvent. Aussi fournissait-elle d’immenses efforts pour ne pas ennuyer ses hôtes en fouinant là où ils ne désiraient pas être dérangés… Sans parler du fait qu’elle avait trouvé mignon, cette façon maladroite de vouloir récupérer ses paroles et laisser planer le mystère.

Pourtant, ce fut ce qu’il prononça ensuite qui la toucha encore plus. Cette manière de reconnaître qu’il pouvait lui arriver à lui aussi de se sentir couper de tout même s’il bougeait pas mal. C’était comme s’il vibrait en harmonie avec elle, à cet instant précis. Car s’il semblait en pleine possession de sa mémoire, peut-être était-ce un peu trop justement. Comme si cette solitude n’était pas choisie, une lueur de douleur pure sembla furtivement assombrir son regard noisette. Le souffle coupé, Caliel écarquilla légèrement les yeux, elle sentait sa poitrine se serrer étrangement. Elle qui ne connaissait rien de cet homme était en parfaite empathie avec lui. Il la touchait et lui donnait envie de panser les plaies qu’elle devinait en lui.

« Sachez… que vous serez toujours le bienvenu ici lorsque vous vous sentirez à nouveau coupé du monde… Mais si vous permettez, même si la compagnie est très agréable, je dois servir ces messieurs… »

Par ces mots un peu malhabiles quoi qu’emplis de douceur, la jeune femme tentait de lui faire comprendre qu’elle était prête à lui tenir compagnie et essayer de lui rendre le sourire.  Même si elle n’était qu’un visage parmi tant d’autres et qu’elle ne doutait pas qu’il ait des amis pour ce faire…
Sur ces mots, elle se leva de son siège et lui offrit un sourire de réconfort tout en faisant un petit signe au client qui avait patiemment attendu qu’elle daigne finir cette conversation.
Néanmoins, son esprit était en partie resté près de l’inconnu qui l’avait bien plus touchée qu’elle ne l’aurait imaginé. Et tandis qu’elle reprenait son travail, elle repassait sans cesse leur conversation dans tous les sens. Un café, oui et donc il bouge beaucoup… Un whisky pur malt et deux bières épicées. Bien mais s’il bouge beaucoup, peut-être est-ce pour le travail…

« Ma petite licorne en sucre, le whisky ce n’est pas pour moi, j’avais commandé un café… »

Sortant de ses pensées dans une exclamation de surprise, Caliel observa Andrew, l’un de ses plus vieux clients. Son visage parcheminé et son regard de lynx lui avait toujours donné l’impression d’être en présence d’une sorte de père de substitution aussi quand il lui fit remarquer sa méprise, elle ne put que rosir d’amusement.

« Oh Andy ! Excuse moi, j’avais la tête ailleurs…je t’amène ça tout de suite. »

Reprenant le whisky dans un léger gloussement, elle retourna derrière son bar sans même percevoir la malice qui illuminait le regard du vieillard. Non, elle se contenta d'observer la salle en cherchant qui lui avait commandé quoi. Bon sang, elle n’avait pas été attentive… Ce genre de chose ne lui arrivait pas en temps normal. Plaçant les boissons sur son plateau, elle jeta un œil sur l’inconnu en se demandant s’il attendait quelqu’un ou si elle ne devrait pas tout simplement le laisser tranquille… Pourtant, sentir sa présence à quelques pas, lui donnait réellement envie de retourner s’asseoir auprès de lui…

(c) AMIANTE

Lundi 7 Mars

A la vision du stylo bille de son inconnu, Caliel senti ses forces la quitter soudainement tandis qu’un bourdonnement digne d’un essaim d’abeilles en déplacement, prenait vie tout autour d’elle. Se retenant de son mieux au bar pour ne rien laisser paraître, la jeune femme tenta d’offrir un faible sourire à l’un des clients qui la regardait perplexe. Il fallait qu’elle sorte de la pièce quelques instants. Pas besoin d’attirer l’attention alors qu’elle risquait de perdre conscience. Alors malgré sa paleur lunaire et le léger tremblement de ses mains, elle se redressa pour traverser les quelques mètres qui la séparaient de la cave.

« Andy… tes consommations en échanges d’un petit concert… S’il te plait. »

Passant à côté du vieillard, elle lui lança un regard appuyé qui signifiait qu’elle avait besoin de quelques minutes hors de la salle. Et qu’en échange de son concert improvisé de guitare, ainsi qu’une petite surveillance du bar, elle saurait le récompenser…
Sa vision se brouillant, elle n’attendit pas plus longtemps et quitta la pièce, s’asseyant directement dans l’escalier dont les marches disparaissaient au fur et à mesure que l’ombre les avalait. Appuyée au mur de briques humides, Caliel ramena le visage entre ses mains tandis qu’un flux d’images étranges se déversaient dans son esprit.

Louise… je t’ai déjà acheté trois stylos ce mois-ci… Tu dois y faire plus attention. Regarde Liam… il est si soigneux de ses affaires…  Ah ! C’est le téléphone… On en reparlera quand ton père aura garé la voiture…

Sentant ses mains humides de larmes, Caliel sortit de son engourdissement. Ce genre de flashs incompréhensibles, lui arrivait de plus en plus souvent, néanmoins, ils la laissaient toujours un peu perdue. Les stylos billes, les téléphones ou encore les voitures… Elle savait que ça provenait du monde moldu. Pourtant, elle-même n’en était pas un ! Elle réussissait presque naturellement la plupart des sorts qu’elle voyait… Comme si, elle les avait déjà étudiés…
Mais qui étaient Louise et Liam ? Ces prénoms, presque toujours présents dans ces moments là, n’avaient aucun sens pour elle. D’un côté, elle avait l’impression qu’ils étaient très proches d’elle mais d’un autre, elle ne parvenait pas à imaginer qu’elle ait pu oublier ceux qui pourraient être ses enfants ? Regardant à nouveau son ventre, comme elle l’avait déjà fait des centaines de fois, elle secoua la tête. Non, son cœur ne pouvait pas lui mentir, jamais elle n’avait porté d’enfant.

Un peu rassérénée, Caliel se redressa en prenant appuis et tenta de remettre un peu d’ordre dans sa tenue.  Cela devait faire quelques minutes qu’elle avait disparu et si elle ne voulait pas montrer ses faiblesses aux personnes présentes, elle n’avait pas plus envie de faire jaser. Bon, elle ne devait sûrement pas avoir la tête d’une femme qui vient de se faire trousser par son amant mais n’empêche. À cette idée, elle remit ses cheveux en place et frotta rapidement ses joues…

Après une profonde inspiration, elle retourna dans la salle occupée par tous les clients. Tout de suite, elle remarqua que l’ambiance avait légèrement changé. La musique jouée par le vieux Andy était chaleureuse, voir même joyeuse, cependant les paroles appelaient, elles, à la rébellion. Il n’avait pas pu s’empêcher de chercher à échauffer les esprits. Ce qui était assez normal dans le fond… Après tout cet homme était perçu comme un traitre à son monde, simplement parce que chaque jour il retournait de l’autre côté de la brèche. Et tous ces risques pour quelle raison ? Pour sa femme qui avaient besoin de soins constants que seuls les moldus pouvaient lui apporter grâce à leur science…
Lui apportant un nouveau verre, Caliel lui fit tout de même comprendre qu’elle ne voulait pas de bagarre ici. Andy avait beau avoir toues les raisons du monde de vouloir faire bouger le monde, il fallait que ce lieux de repos et de respect, le reste.

Or, elle venait de croiser le regard furibond d’un homme qui venait de se faire plumer au jeu… Cet homme, elle l’avait vu assit à une table quelques instants plus tôt, cartes en mains et regards impatients. Malheureusement pour lui, sa distraction lui avait causé quelques ennuis… Une aubaine pour son adversaire qui en avait profité pour égayer un peu, son propre jeu. D’un tour de main agile, il avait subtilisé l’une de ses cartes pour la remplacer…
S’il découvrait qu’il venait de se faire arnaquer et que la musique le poussait au combat, sans parler des nombreux verres qu’il avait déjà bu… Caliel n’avait pas envie de devoir intervenir.
Surtout qu’elle avait servit un autre verre et qu’elle avait une autre idée en tête. Et traversant la salle armée de son plateau, elle vint se planter à côté de la table de son inconnu. Le regard posé sur ses dessins, elle sourit pensive. Il était clair qu’il y avait bien plus derrière ces griffonnages… Malheureusement, elle ne pouvait pas en comprendre le sens.

« Vous savez… Si vous aimez gribouiller des trucs bizarres, je veux bien prendre la pause pour vous… »

Sur ces mots, elle posa le verre devant lui en prenant garde de ne pas renverser une goutte sur ses affaires. Puis, elle se réinstalla devant lui en le fixant silencieusement. Intérieurement, elle se débattait avec sa volonté de le laisser tranquille et son envie presque inexplicable de le presser de questions pour en savoir plus sur lui… Pourtant, elle voyait bien qu’il n’était pas particulièrement bien et qu’il n’était pas très causant… Mais cela ne la refroidissait pas, au contraire…  Par contre, peut-être était ce un peu gênant pour lui qu’elle reste silencieuse comme ça, à laisser son regard le fixer sans cacher qu’elle était en train de l’analyser. On le lui avait déjà dit pourtant. Mais elle ne pouvait pas faire autrement… Enfin, elle ne le faisait pas totalement exprès du moins.

« Est-ce que… je peux vous poser une question… personnelle ? »


A ce dernier mot, un sourire malicieux apparut sur son visage. Il y avait quelque chose d’amusant pour elle, dans sa manière de lui poser cette question…

(c) AMIANTE