Le Helly Heaven avait rouvert ses portes et Eden était soulagée de retrouver l’univers familier de son bar. En retrouvant cet endroit familier qu’elle avait fini par considérer comme son deuxième chez elle, elle entreprit de descendre, à la main, toutes les chaises et les tabourets des tables et du bar. Elle alla ensuite astiquer les verres, en attendant l’arrivée de Gavriil. Lorsque ce dernier arriva – ou plutôt cette dernière puisque c’était Gabrielle qui venait de débarquer – elle lui sauta dessus. Elle vérifia dans un premier temps s’il allait mieux puis elle le prit dans ses bras en lui assurant qu’elle était heureuse de le voir de retour et en pleine forme. Malheureusement, elle ne put pas se réjouir bien longtemps de son retour car ils devaient mettre le bar en ordre pour l’ouverture. Ils s’accordèrent néanmoins une petite pause pour partager un verre de vodka cerise – en pleine après-midi mais depuis quand s’en formalisaient-ils ?- avant d’accueillir leurs premiers clients.

Le samedi après-midi était plutôt calme d’ordinaire, les clients affluaient généralement le soir, ou en début de soirée, mais ce n’était pas pour autant qu’elle ne devait pas faire attention à ses clients. Elle les installa donc, leur apporta leur commande. Elle accueillait d’ailleurs ses habitués avec un beau sourire, entre le charmeur et le commercial. Elle s’accorda néanmoins une pause aux alentours de cinq heure pour accueillir le beau russe qui travaillait avec Gavriil et elle au bar, en tant que cuisinier. Elle alla accueillir l’aîné des Ivanovski et passa quelques minutes avec lui, d’abord pour lui donner les consignes pour la soirée, ensuite pour prendre de ses nouvelles. Eden devait le reconnaître, son petit cuisinier la faisait atrocement craquer, mais apparemment, le principal intéressé ne le remarquait pas du tout. Alors que Gavriil lui avait compris depuis le début ce qu’elle ressentait vis-à-vis de son frère. Enfin bon, peut-être qu’un jour le cuisinier comprendrait et qu’elle pourrait passer aux choses sérieuses avec lui. Ou alors, elle finirait par le plaquer contre le comptoir pour abuser de sa gentillesse et, accessoirement, de son corps.

Une fois sa discussion terminée, elle regagna la salle et constata qu’un flot de clients était arrivé, aussi reprit-elle son travail sans perdre un instant. Du coin de l’œil, elle remarqua un brun qui était déjà venu plusieurs fois au bar et alla le servir. Tout en travaillant, elle constata qu’il restait au bar seul et qu’il enchaînait les verres d’alcool. Lorsqu’il fit signe pour avoir un nouveau verre de whisky pur feu, elle s’approcha de lui, un sourire aux lèvres, et déposa un verre devant lui.

-Bonsoir, le salua-t-elle avec un sourire en coin. Ça fait un moment que vous êtes assis là, vous attendez quelqu’un ?

Elle essaya de faire abstraction de son air déconfit, il avait l’air de broyer du noir et elle ne connaissait que trop bien ce sentiment. Peut-être parviendrait elle à le faire sortir de sa torpeur. Si elle n’y parvenait pas, elle pourrait toujours lui offrir un cocktail maison et lui offrir de trouver un moyen de le raccompagner chez lui. Vu le nombre de verres qu’il avait bu, elle doutait qu’il soit en état de transplaner convenablement et elle ne voulait pas que les clients de son bar subissent des accidents.

De l’autre côté de son comptoir, Eden regardait son client, ou plutôt, l’observait. Il lui disait quelque chose. Normal d’un côté, ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait dans son bar, et ça ne serait sûrement pas la dernière. Pourtant, elle était prête à parier qu’elle l’avait vu autre part, elle n’arrivait juste pas à mettre le doigt dessus. Qu’est-ce qu’elle trouvait ça agaçant lorsque ça lui arrivait ! Elle ne supportait pas de ne pas retrouver une information, surtout lorsqu’elle savait qu’elle avait la réponse. Finalement, ce fut le brun, assis au comptoir, qui lui apporta la réponse. A la fois à la question qu’elle avait posé, et à celle qu’elle se posait intérieurement. Il travaillait au ministère ! Elle avait dû le croiser là-bas une fois où elle allait voir l’une de ses connaissances, c’était sûrement pour ça qu’il lui disait quelque chose.

S’il travaillait au ministère et qu’il n’appréciait pas ce qu’il y faisait, selon ses propres dires, peut-être était-il contre le nouveau gouvernement. De plus, à en juger par le nombre de verres qu’il avait déjà bu, et son envie de se retrouver saoul, il pourrait peut-être lui apporter quelques renseignements sur ce qui se passait au sein du ministère. Prenant son sourire le plus enjôleur, Eden s’accouda au comptoir pour se rapprocher un peu plus du brun qui lui faisait face.

-Dites-moi tout monsieur le beau brun, qu’est-ce qui vous ennuie tant que ça dans votre travail ? demanda-t-elle d’une voix légèrement suave.

Même si elle savait qu’elle jouait un jeu dangereux, Eden était prête à prendre le risque. Après tout, la résistance, et surtout leur but, en valait largement la peine ! Et puis, ce n’était qu’un petit flirt innocent, qui n’irait pas plus loin. Si à une certaine époque elle n’avait pas rechigné à réchauffer le lit de certains membres du ministère, elle n’avait plus le même sens du sacrifice à présent. Flirter avec ces types ne la dérangeait pas, surtout lorsqu’ils venaient eux-mêmes rechercher de la compagnie dans son bar, mais ça n’allait plus aussi loin à présent. Elle se laisserait à la limite embrasser – et encore si elle pouvait l’éviter, elle l’éviterait – mais ce serait tout.

Quand le brun, qui avait son petit charme elle devait le reconnaître, lui demanda si elle n’avait rien de plus fort, elle lui fit, de nouveau, son sourire de prédatrice. Elle se glissa ensuite derrière le comptoir où elle s’appliqua à remplir un verre de sa meilleure vodka – enfin presque, la meilleure était en vérité gardée précieusement chez elle – une double dose d’alcool d’ailleurs, qu’elle posa ensuite devant le brun qui le lui avait demandé.

-Profitez-en, il est offert par la maison, l’informa-t-elle avec, toujours, son sourire enjôleur en lui faisant, en prime, un clin d’œil. Ça ne doit pas être évident d’avoir un travail qu’on apprécie pas, concéda-t-elle d’une voix douce, pour l’inciter à parler.

Au pire, s’il ne comprenait pas l’invitation implicite à se confier à elle, elle pourrait toujours le lui proposer directement. En faisant en sorte qu’il lorgne un peu vers son décolleté avant, elle savait par expérience que les hommes étaient plus bavard lorsqu’ils étaient concentrés sur le corps d’une femme. Gavriil lui avait souvent démontré que c’était vrai d’ailleurs ! Ses clients étaient étonnamment très bavards lorsqu’ils lorgnaient sur ses longues jambes de belle blonde !

A en jugé par la réaction qu’il avait eu, à savoir boire une nouvelle gorgée de whisky, le surnom qu’elle avait utilisé pour le qualifier ne lui avait pas beaucoup plus. Bah, c’était sans importance, elle avait d’autres atouts dans sa manche et un bar plein d’alcool pour l’aider à oublier tous ses soucis ! Sans compter qu’elle serait ravie de l’écouter se plaindre de son boulot au ministère. Quand il se présenta en lui donnant son prénom, et juste son prénom, Eden lui adressa un sourire éclatant qui, aux yeux de tous, avait des allures de sourire radieux et heureux. En vérité, il était rare que ses sourires soient sincères, mais elle avait appris à faire comme si. Généralement, quand un homme se présentait en ne donnant que son prénom, c’était qu’il se sentait assez en confiance pour ne pas introduire la distance que mettait parfois les noms complets.

-Enchantée Gideon, répondit-elle sans se défaire de son sourire. Gideon c’est un nom original, on n’en croise pas souvent, mais ça vous va bien je trouve. Moi, c’est Eden, indiqua-t-elle avec un clin d’œil coquin.

La brune se retint de lever les yeux au ciel quand Gideon affirma qu’il détestait ses directeurs, et qu’ils étaient tous pourris. Bah tiens, ça ne l’étonnait pas beaucoup ça ! Quelle idée aussi de travaillait au ministère quand on était pas en accord avec eux ? Enfin elle pouvait comprendre, Liam le faisait bien lui, mais il participait activement à la résistance et il récoltait plein d’information qui aidait énormément à la ville souterraine ! Elle était bien contente de ne pas travailler là-bas pour sa part, le Helly Heaven était un endroit où elle adorait travailler et puis…C’était tout de même la patronne ! Ici, c’était elle qui donnait les ordres, elle ne les subissait pas. Mais bon, elle pouvait comprendre que tout le monde ne pouvait pas faire ce qu’il voulait de sa vie. Aussi adressa-t-elle une grimace compatissante au brun assis de l’autre côté du bar.

-Ce ne doit pas être facile de travailler avec ce genre de personne… concéda-t-elle avec un air désolé.

S’il voulait se plaindre plus en détail sur ses supérieurs, elle n’allait pas s’en plaindre ! Après tout, c’était ce qu’elle cherchait, qu’il se confie à elle. Pour apprendre, peut-être, de nouvelles informations sur le ministère et ce qui s’y passait. Heureusement, tout n’avait pas l’air d’être terne dans la vie de ce pauvre Gideon, il avait l’air d’apprécier son travail, c’était déjà ça de pris. La brune eut un petit sourire amusé quand il parla de son salaire. Comme quoi, l’argent restait, malgré tout, une source de motivation.

-Dans quel département travaillez-vous ? demanda-t-elle avec son air le plus adorable. Même si vous appréciez votre travail, ce ne doit pas être facile de travailler pour des imbéciles non ?

Elle posa ensuite devant le brun un verre de vodka, offert par la maison, et s’en servit un également. D’une part parce qu’elle en avait envie, et d’autre part parce que, généralement, les hommes avec qui elle discutait avait l’impression de partager un moment entre amis quand elle buvait avec eux, et non pas de se confier à une barmaid dont ils ne savent rien. Heureusement qu’elle avait une – très – bonne résistance à l’alcool, sinon elle finirait la plupart de ses soirées ivre morte.

-Bien sûr que tout ça reste entre nous ! assura-t-elle avec un petit air surpris. Ce serait mal venu de répéter ce que vous me confiez, surtout si ça tombait entre de mauvaises mains…

Enfin…elle garderait ça pour elle, en partie seulement. Parce que, soyons honnête, si elle apprenait des choses intéressantes, elle ne se priverait pas pour tout partager avec Liam !

En entendant Gideon dire qu’il regrettait l’ancien temps, sous-entendant par-là l’ancien gouvernement, Eden poussa un petit soupir qui voulait clairement dire qu’elle pensait comme lui. Oui, elle aussi préférait l’ancien temps, celui où ses parents n’avaient pas été lâchement assassinés pour les empêcher de révéler au monde entier que des bébés moldus ayant des pouvoirs magiques étaient arrachés à leur famille. Surtout qu’aujourd’hui, la nouvelle avait été diffusée, par le biais du Phénix, alors certes, tout le monde n’était pas au courant, mais tout de même. Eden avait parfois l’impression que ses parents étaient morts en vain…et elle aussi par la même occasion. Après tout, Kendra Clayne, celle qu’elle avait été durant la majeure partie de sa vie, était officiellement morte dans l’incendie du manoir Clayne. Mais elle n’aimait pas penser à tout ça, ça la rendait maussade, voire passablement dépressive par moment.

-En effet, vous ne devriez pas dire ça, ce n’est pas prudent, mais je comprends ce que vous ressentez. Et j’approuve votre point de vue, un tel gouvernement ne peut pas tenir longtemps avec un tel point de vue et de telles méthodes.

Il était rare qu’Eden donne réellement son point de vue à ses clients, ordinairement, elle se contentait d’abonder dans leur sens, sans jamais révéler le fond de sa pensée, mais pas avec lui. Il fallait dire que Gideon pensait de la même manière qu’elle, et elle n’avait pas vraiment envie de jouer ce soir. Surtout si c’était pour déguiser ses propos mais au final dire la même chose. Quand elle entendit le nom de Crowford sortir de la bouche du brun, Eden leva les yeux au ciel. Pas étonnant qu’il soit dépressif s’il travaillait pour un Crowford ! Elle ne pouvait que comprendre ! Certes, elle n’avait rencontré qu’Ezéchiel et Alexandre dans cette famille, mais ça lui suffisait amplement ! Tous les deux étaient des ordures et ne s’en cachaient pas. Surtout qu’il travaillait alors que tout ce que faisait le gouvernement allait à l’encontre de ce qu’il pensait. Oui, il n’était pas dans une situation évidente et Eden avait envie de lui remonter le moral.

-Je comprends, les Crowford sont de telles ordures que ce ne doit pas être évident de bosser pour eux ! Mais si vous voulez oublier tout ça plus souvent, vous pouvez venir vous réfugier ici, je me ferais une joie de vous accueillir, assura-t-elle avec un nouveau clin d’œil sexy.

Il était mignon à faire tourner l’alcool dans son verre de manière pensive, mais apparemment ce n’était pas l’alcool qui allait l’aider à oublier tout ça. Surtout s’il se mettait à discuter de ses ressentiments envers le gouvernement dans un bar bondé, comme l’était le Helly Heaven un samedi soir.

-Vous savez, il y a d’autre moyen d’oublier tout ça que l’alcool, lui dit-elle en lui retirant lentement son verre des mains.

Une barmaid qui conseillait à ses clients un autre moyen que de noyer leurs soucis dans l’alcool, on aurait tout vu. Mais Gideon lui plaisait bien et ses soucis faisaient étrangement échos en elle. Aussi se pencha-t-elle par-dessus le comptoir, mettant presque outrageusement son décolleté en avant, et passa-t-elle un doigt dans le col de la chemise du brun pour le faire s’approcher davantage d’elle. Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’elle posa ses lèvres sur les siennes, faisant glisser son doigt du col de sa chemise jusqu’à sa nuque où elle plaça sa main tandis qu’elle faisait passer sa langue sur les lèvres de Gideon pour l’incitait à lui laisser le passage.

Oui, Eden était bien d’accord, c’était de plus en plus rare de trouver des sorciers qui affirmaient clairement leur position contre le gouvernement. Enfin…C’était rare en dehors de la ville souterraine ! Parce que la brune passait tellement de temps au quartier général de la résistance, que ça lui semblait naturel d’insulter O’Connor ou de regarder Noah lancer des fléchettes sur un article de la Gazette du Sorcier. C’était à chaque fois une bouffée d’oxygène pour elle de se rendre là-bas, et d’entendre des gens affirmaient clairement leur position. Sans parler de tous ceux qui écrivaient pour le Phénix ! Parce qu’au bar, elle entendant, malheureusement, souvent des hommes du ministère vanter les mérites de ce crétin de nouveau ministre !

-Je n’ai pas peur de grand-chose, confia-t-elle au brun avec un sourire mystérieux.

Et c’était vrai, après avoir frôler la mort dans l’incendie du manoir où elle avait grandi et après avoir perdu sa famille, elle n’avait plus grand-chose à perdre, si ce n’était ses amis et ses espoirs. Mais bon, elle en prenait soin, peut-être un peu trop même, alors elle ne les perdrait pas ! Surtout que Liam savait se défendre, que Noah était un grand garçon qui savait se débrouiller et que Gavriil était plein de ressources, même s’il avait tendance à s’attirer des ennuis. Non, elle n’avait vraiment pas à s’inquiéter pour eux.

Quand il parla des Crowford, avec qui il travaillait – Merlin comme elle le plaignait, il avait bien du courage – elle lui conseilla de venir les oublier dans son bar. Mais en entendant qu’il avait été séparé des siens, elle se sentit désolée pour lui et posa une main sur son bras, avec un vrai sourire désolé aux lèvres. Elle ne savait que trop bien ce qu’il ressentait, elle aussi avait été séparée des siens…mais de manière définitive étant donné que son frère avait perdu la mémoire et qu’il ne se souviendrait jamais d’elle malheureusement…

-J’espère qu’un jour, vous pourrez retrouver ceux qui vous ont été arraché, souffla-t-elle le plus sincèrement du monde, une lueur étrange dans les yeux.

Elle aussi aurait aimé pouvoir retrouver sa famille, mais elle savait bien que ça n’arriverait jamais. Elle aurait pu faire comme Gideon et noyer son chagrin dans l’alcool, mais elle l’avait déjà suffisamment fait et ça ne marchait pas si bien que ça. D’ailleurs, elle avait décidé que le brun avait suffisamment noyer ses soucis dans le whisky et qu’il était temps pour lui de changer de méthodes. Quand il lui demanda quels autres moyens il y avait pour oublier tout ça, elle se contenta de lui répondre par un clin d’œil avant d’aller l’embrasser. Si elle avait d’abord craint qu’il ne la repousse, elle fut satisfaite de le sentir répondre à son baiser. Et réellement surprise en sentant leur échange devenir de plus en plus fougueux. Elle n’aurait pas soupçonné que le brun cacher une telle passion et une telle vigueur en lui, mais ce n’était pas pour lui déplaire, loin de là. Après avoir longuement joué avec sa langue, et savourer cet arrière-goût de whisky-pur-feu qu’il avait, Eden s’éloigna de lui, de quelques centimètres seulement. Suffisamment loin pour observer les traits de son visage et suffisamment proche pour conserver l’intimité qu’ils venaient de partager…au beau milieu du Helly Heaven. Quand il déclara qu’elle était surprenante, un sourire coquin vint pointer le bout de son nez sur ses lèvres.

-Merci pour ce compliment, déclara-t-elle sans cesser de sourire, je vais en profiter pour vous surprendre davantage alors.

Elle se pencha de nouveau par-dessus le comptoir, un peu plus que précédemment puisque ce n’était pas sa bouche qu’elle visait pour le cou. Elle ne s’arrêta que lorsque ses lèvres effleurèrent l’oreille du brun qui lui plaisait décidément beaucoup.

-Et si on allait ailleurs ? proposa-t-elle d’une voix sexy et pleine de promesses.

Elle connaissait un hôtel sympa non loin de là, où ils pourraient passer tranquillement la nuit et qui serait parfait pour ce qu’elle avait en tête.