Le moins que l’on puisse c’était que la vie d’Elaeh était devenue plus mouvementée depuis qu’une petite boule de poil blanche et noire était entrée dans son existence. C’était Ruby, son meilleur ami, qui lui avait offert ce chaton un mois plus tôt. Il lui avait expliqué lui faire ce cadeau pour qu’elle se sente moins seule et que sa maison retrouve un peu d’animation, et il ne s’était pas trompé. Effectivement, son nouveau compagnon rendait la grande maison familiale dans laquelle elle vivait moins vide et elle appréciait réellement cette petite source d’affection avide de câlins qui ronronnait de joie quand elle le prenait dans ses bras. Il était vrai qu’au début, le petit chat s’était montré méfiant et qu’il lui avait fallu quelques jours pour s’habituer à sa nouvelle demeure, mais à présent, il se sentait comme chez lui. Il venait même rejoindre Elaeh dans son lit pour dormir, c’était dire ! Surtout quand on sait qu’à son arrivée, il refusait de quitter le fauteuil du salon.

La fabricante de baguettes avait tout de suite adopté son nouvel animal de compagnie et elle s’était habituée rapidement à sa présence. Par contre, un problème était survenu : le nom de cette adorable boule de poils. Elle s’était longuement penchée sur la question et avait mis presque une semaine pour se décider. Durant ces jours d’hésitation, elle s’était mise à faire une liste de prénoms potentiels mais ils finissaient tous rayés les uns après les autres. Elle avait même envoyé une lettre à Ruby avec une dizaine de prénoms pour son chat pour lui demander conseil tant elle n’arrivait pas à se décider. Finalement, elle avait opté pour Mélèze. Travaillant avec une grande variété de bois, elle s’était dit que la symbolique serait plaisante et elle avait finalement opté pour cet arbre à la couleur claire, songeant que c’était bien approprié pour un chat à la fois blanc et noir. Son meilleur ami avait d’ailleurs approuvé son choix, confirmant qu’il allait bien à son nouvel animal.

La vie avec son petit Mélèze, qui grandissait d’ailleurs mais qui restait toujours aussi adorable, se passait bien. Il était vif, plein de tendresse, réclamait de l’attention quand il se sentait seul et pourtant, il ne faisait pas de bêtises et il ne dérangeait jamais Elaeh lorsqu’elle était occupée. Du coup, il se retrouvait parfois à s’ennuyer et c’était pour cette raison que la fabricante de baguettes magiques s’était rendue à la ménagerie magique après avoir fermé sa boutique un peu plus tôt. Elle flânait dans les rayons, sélectionnant quelques jouets pour chaton afin d’occuper Mélèze quand elle était au travail ou qu’elle était occupée chez elle. Certes, sa boule de poil avait accès au jardin, mais lorsqu’il pleuvait, il ne sortait pas et il aimait bien traîner dans la maison.

Alors qu’elle tournait pour continuer ses recherches dans le rayon suivant, Elaeh eut la surprise de tomber sur Wendy, qui avait été, pendant un temps, une de ses amies. Pour être honnête, la fabricante de baguettes n’aurait su dire s’il s’agissait d’une bonne ou d’une mauvaise surprise. Il était vrai qu’elle ne cautionnait pas ses choix d’éducation envers sa fille, pire encore, elle ne les comprenait absolument pas et elle n’arrivait pas à concevoir qu’une mère puisse prendre une telle décision, mais elles avaient passé de bons moments ensemble avant que la médicomage ne décide d’éloigner sa fille d’elle en l’envoyant vivre chez ses parents, dans le monde moldu.

-Bonjour Wendy, je ne m’attendais pas non plus à te trouver ici, répondit-elle prudemment sur un ton poli. Je suis venue acheter de quoi distraire mon chaton, ne put-elle s’empêcher d’expliquer, et toi, que fais-tu ici ?

Elaeh observa celle qui avait été, pendant un temps, son amie, hésitant quant à la marche à suivre. A priori cette conversation avait l’air innocente, mais elle n’avait pas envie qu’elle dérape sur les raisons des tensions qu’il y avait entre elles. D’un autre côté, elle était peut-être injuste de condamner ainsi Wendy sans même lui laisser le loisir de s’expliquer.

-Comment vas-tu ? finit-elle par demander avec un sourire courtois.

Il était vrai qu’elle avait déjà fait mieux en matière de conversation, mais cette rencontre imprévue la mettait quelque peu mal à l’aise. A vrai dire, elle ne savait pas ce que Wendy pensait d’elle désormais, ni même si elle avait ne serait-ce qu’envie d’avoir une discussion avec elle.

Apparemment Wendy était venue à la ménagerie magique dans le but d’acheter un chaton pour Beth, sa fille, c’était une bonne chose, les petites filles aimaient les animaux, et la fille de Wendy serait sûrement heureuse de ce nouveau compagnon. Pourtant, quand Elaeh entendit son amie – ou du moins celle qui le fut un jour, elle ne savait pas trop où elles en étaient – dire que c’était pour que Beth se sent moins seule, elle garda pour elle ses remarques ironiques et son sourire moqueur. Si la médicomage voulait vraiment que sa fille ne se sente pas seule, elle n’aurait pas dû l’abandonner de l’autre côté de la frontière, là où elle grandissait loin de sa mère. Pensait-elle sérieusement qu’un chaton ferait oublier à la petite fille qu’elle ne voyait presque jamais sa mère ? Elle avait des sérieux doutes quant à la question et la fabricante de baguettes magiques savait pertinemment de quoi elle parlait. Elle-même avait grandi élevée par son grand-père parce que son père n’était qu’un salopard adultère et que, en prime, il avait tué sa mère. Et malgré ça, elle avait parfois souffert de l’absence de ses parents, bien que son grand-père ait été génial avec elle.

-Oui, je suis sûre que ça lui ferait plaisir. On m’a offert un chaton il y a un mois, ça met de la vie dans une maison, assura-t-elle avec un sourire plus sincère que le précédent

Bien qu’elle ait essayé de ne pas amener une discussion houleuse sur la tapis en ne rebondissant pas sur le fait que Beth se sentirait moins seule si elle vivait avec sa mère, ce fut Wendy qui parla la première de leur désaccord. Non en effet, Elaeh ne comprenait pas les raisons qui avaient poussées son amie à abandonner sa fille dans le monde moldu. Elle ne comprenait pas comment une mère pouvait se résoudre à laisser son enfant grandir loin d’elle. Mais elle n’était pas mère, elle n’avait peut-être pas toutes les cartes en mains pour comprendre. Elle avait beau être intimement convaincue qu’elle n’aurait jamais pris une décision pareille, elle n’était pas dans la même position que la médicomage. Tout comme la médicomage n’avait pas son vécu et ne pouvait pas comprendre son point de vue.

-Non en effet, je ne comprends pas, concéda-t-elle avec un sourire désolé. Par contre, ce que je sais c’est que tu es une sorcière et que le père de Beth est un sorcier également, la probabilité pour ta fille soit une cracmole est tellement infime que je ne comprends pas pourquoi tu t’en inquiète. Ce n’est pas comme si des cracmols naissaient tous les jours.

Elaeh poussa un soupir et se passa une main dans les cheveux, se demandant si un jour, Wendy et elle parviendraient à surmonter ce différent. Dans l’absolu, les décisions que prenaient son amie concernant sa fille ne la concernée par, mais elle se sentait tout de même concernée. La médicomage assurait qu’elle ne connaissait pas toute l’histoire et qu’elle avait ses raisons de faire ça et Elaeh ne demandait qu’à la croire, mais qu’est-ce qui pouvait bien justifier tout ça ?

-C’est vrai, je ne sais pas toute l’histoire et je ne sais pas pourquoi tu fais ça. Mais toi, tu ne connais pas mon histoire et je suis bien placée pour savoir que si cette situation dure trop longtemps, Beth t’en voudra Wendy. Je ne dis pas ça pour te faire de la peine ou pour te blesser, je te dis que c’est ce qui va arriver. Alors même si c’est pour la protéger, ne reste pas loin d’elle trop longtemps, s’il-te-plaît…demanda-t-elle d’une voix triste, un sourire mélancolique aux lèvres.

Beth avait tout l’air d’être une gamine adorable et elle n’avait pas envie que son enfance soit ternie par l’absence de ses parents. Déjà que, comme elle, elle devait grandir sans père, être éloignée de sa mère n’était pas forcément la situation la plus facile à vivre.

Le monde était petit, c’était un fait, surtout concernant le monde magique anglais. Pour autant, Elaeh ne s’était pas attendue le moins du monde à croiser Wendy dans la ménagerie magique. Si la fabricante de baguettes magiques avait su qu’elle croisait celle qui fut un jour son amie ici, elle aurait certainement choisi un autre moment pour faire ses emplettes pour Mélèze. Non pas qu’elle n’aimait pas Wendy, bien au contraire, elles avaient juste une divergence d’opinion, mais elle savait que la discussion qu’elles auraient en se revoyant ne lui plairait pas. Et elle ne s’était pas trompé ! En vérité, Elaeh savait qu’elle n’avait aucun droit de juger la médicomage et ses décisions, pourtant elle le faisait, c’était plus fort qu’elle, elle avait l’intime conviction que Wendy et Beth regretteraient cette décision un jour et elle voulait leur éviter. Finalement, peut-être que tout serait plus simple si elle savait cacher ses émotions et garder ses opinions pour elle. Wendy serait juste une amie, comme avant, et elle passerait de bons moments avec elle plutôt que de se disputer comme elles le faisaient.

-Tu penses vraiment qu’elle est plus en sécurité dans le monde moldu qu’ici ? demanda Elaeh avec une surprise sincère en baissant la voix pour qu’elle ne soit pas entendue par quelqu’un d’autre que Wendy. Et à ton avis, que se passera-t-il quand le ministère détectera ses pouvoirs magiques ? Parce qu’ils le feront, tu peux en être sûre. Et à ce moment-là, elle sera envoyée à l’orphelinat, comme tous les nés-moldus ayant des pouvoirs magiques, et le ministère se moquera bien que tu sois sa mère. Pire encore, tu pourrais être accusée d’avoir passé la Frontière et avoir des ennuis.

Son but n’était pas de faire peur à la médicomage, ni même de l’énerver, non, Elaeh voulait juste lui ouvrir les yeux. Elle avait l’impression que Wendy se voilait complètement la face concernant sa fille et la séparation qu’elle lui imposait. Alors quand elle entendit le reste de ses paroles, elle écarquilla les yeux de surprise et éclata d’un rire sans joie, presque froid. Beth n’était encore qu’une enfant, comment une enfant pouvait comprendre les motivations de sa mère quand cette dernière décidait de vivre loin d’elle dans le seul but de la protéger ? Elle ne pouvait pas ! Tout ce que Beth devait voir, c’était que sa mère vivait loin d’elle, dans un monde auquel elle ne pouvait accéder et qu’elle ne la voyait que de temps en temps, alors bien sûr qu’elle devait être heureuse de la voir.

-Forcément qu’elle est heureuse de te voir Wendy, Beth a six ans ! Ça ne veut qu’elle est heureuse quand tu n’es pas là, tu lui manques forcément. Et ne me fait pas croire qu’elle comprend tes motivations, ce n’est qu’une gamine, aussi intelligente soit-elle, rien ne justifie aux yeux d’un enfant qu’un de ses parents l’abandonne.

En apprenant qu’en plus de tout ça, elle avait expédié sa fille dans le monde moldu pour que le père de cette dernière ne la retrouve pas, Wendy baissa un peu plus dans l’estime d’Elaeh. Protéger sa fille ? Tu parles, elle ne voulait juste pas que le père de Beth – quel qu’il soit – le lui enlève. C’était plutôt elle-même qu’elle essayait de protéger en réalité, mais la fabricante de baguettes magiques se garda bien de dire ce qu’elle pensait de ça. Non seulement elle cachait l’existence de sa fille à un père qui, s’il la cherchait, voulait faire partie de sa vie et en plus, elle éloignait sa fille pour qu’elle n’ait pas de contact avec son père. Wendy pouvait bien parler de protection et de monde horrible, son problème était surtout qu’elle n’osait pas affronter le père de sa fille en réalité.

-Tu aurais peut-être dû réfléchir à ça avant de lui cacher qu’il avait une fille non ? Ça ne t’a jamais effleuré l’esprit qu’il finirait par apprendre qu’elle existe ? Tu préfères punir Beth plutôt que d’assumer tes erreurs en somme, conclut Elaeh avec une pointe de mépris et de déception dans la voix.

S’énerver de la sorte ne servait à rien, Elaeh en avait conscience, ce n’était pas ses problèmes et elle n’avait pas son mot à dire dans la vie de famille de Wendy. Pourtant tout cela la rendait folle parce que ça lui rappelait douloureusement sa propre enfance. Certes son grand-père avait été très gentil avec elle et elle l’avait aimé énormément, mais elle savait qu’avant de mourir, sa mère l’avait délaissé pour courir les hommes mariés et que son père, qui était l’un d’eux, avait préféré tuer sa maîtresse plutôt que de voir l’existence d’un bâtard révélé. Beth elle avait la chance d’avoir des parents normaux et une mère aimante, et pourtant, elle était contrainte de vivre avec ses grands-parents, dans un monde dépourvu de magie, c’était cruel.

-Si tu veux continuer de parler de tout ça, on peut aller dans ma boutique, on sera tranquille, en attendant, je vais payer mes achats.

Et comme pour appuyer ses dires, elle s’éloigna de la médicomage, ses achats dans les mains, et se dirigea vers la caisse de la ménagerie magique pour payer de quoi occuper Mélèze et prendre soin de lui. Elle ne savait pas si Wendy la suivrait mais, finalement, peut-être qu’une véritable explication ne leur ferait pas de mal, à toutes les deux.