Keith l’agaçait, à tel point qu’elle en venait à se demander ce qu’elle était venue faire dans ce putain de bar merdique ! Si elle n’avait pas été là pour une raison précise, elle se serait fait une joie de le remettre à sa place. Sauf que voilà, elle ne pouvait pas et Eden se retrouvait à bouillonner de l’intérieur, imaginant mille tortures à infliger à ce loup-garou de malheur ! Heureusement, rien de tout ça ne se voyait sur son visage et, après avoir royalement ignoré sa remarque sur ses talents buccaux, ils purent avoir une conversation un tant soit peu normale. Enfin, aussi normale qu’une conversation avec Keith pouvait l’être, surtout quand on parlait de Gavriil – qui n’avait absolument rien de normal mais de la part de la brune, c’était plutôt un compliment dans le cas du russe – et de son métier. Métier qu’Eden aimerait, plus que tout autre chose, que Gavriil lâche avant qu’il ne soit trop tard. Alors quand Keith lâcha que le russe aimait peut-être ça, Eden manqua de s’étouffer d’indignation.

-Bien sûr que non, il n’aime pas ça ! répondit-elle avec véhémence. C’est en train de le détruire à petit feu ! Il revient parfois couvert de bleus et son regard… Par moment j’ai l’impression que quelque chose s’est brisé en lui et que rien ne pourra réparer ça, que Gavriil aura toujours, au fond de lui, les traces de ce qu’il est en train de vivre maintenant, de ce qu’il s’inflige, et qu’il n’arrivera pas à s’en défaire…

Et elle ne mentait pas, des fois, quand il pensait ne pas être observé, elle voyait comme du désespoir dans les yeux du russe et elle ne savait pas quoi faire pour arranger les choses. Elle se sentait impuissante, inutile et ça la rendait folle ! A tel point qu’elle avait envie, de temps à autre, d’enfermer Gavriil au Helly Heaven pour qu’il arrête de se prostituer, mais ça ne le rendrait pas plus heureux pour autant, malheureusement.

-Enfin bon, je suppose que ça ne sert à rien de parler de tout ça avec toi et que tu t’en moques, soupira-t-elle en terminant son verre.

En entendant la suite des propos de Keith, qui semblait pensait qu’elle le prenait pour un con, Eden sentit de nouveau la colère monter en elle. Pour le coup, elle avait plutôt l’impression que c’était elle qu’on prenait pour une conne depuis qu’elle avait débarqué dans ce taudis !

-Si les gens te prennent pour un con, c’est peut-être parce que tu le veux bien non ? Pour ma part, je suis, effectivement, venue te parler de Gavriil et je n’en ai rien à faire de ce qui se passe ici !

Oui, c’était un odieux mensonge, mais un mensonge non décelable alors ça ne faisait de mal à personne, non ? Et puis bon, si elle n’avait pas réussi à obtenir les informations qu’elle voulait – et elle était trop fière pour demander à Keith de tout lui raconter – d’autres membres de la résistance s’en sortiraient sûrement mieux qu’elle. Elle, elle n’avait pas envie le moins du monde d’être redevable à Keith de quelle que manières que ce soit !

-Maintenant, puisque tu n’as visiblement plus rien à me dire sur Gavriil, et que je te fais perdre ton temps si précieux, commença-t-elle avec une ironie certaine. Je vais te laisser, je ne voudrais surtout pas t’empêcher de t’ennuyer !

Joignant le geste à la parole, elle leva ses fesses du tabouret où elle était assise et déposa sur le bar de quoi payer le whisy-pur-feu qu’elle avait bu.

Entendre de sa bouche qu’il se foutait royalement de ce qui pouvait arriver à Gavriil ou même de Gavriil lui-même aurait dû énerver Eden. Aurait dû seulement parce que, curieusement, elle ressentit de la lassitude mais aussi une pointe de satisfaction. Au moins ce gros loup plein de muscles était honnête, c’était déjà ça. Ça changeait des sorciers qu’elle croisait dans son bar ou même dans la rue. Ces imbéciles qui faisaient semblant de la comprendre, qui souriaient gentiment aux gens qu’ils détestaient ou qui disaient du mal de leurs amis lorsqu’il était en présence de personnes n’aimant pas ces derniers. Des gens comme ça, elle en voyait beaucoup trop pour apprécier l’honnêteté de Keith, même si ses propos ne lui plaisaient pas. Par contre, quand il expliqua qu’écouter sagement les jérémiades des clients faisait partie job, elle leva clairement les yeux au ciel avec un air exaspéré sur le visage. Non mais vraiment celui-là !

-Si ça te fait chier à ce point d’écouter les jérémiades des clients, change de boulot. Paraît qu’ils cherchent un gardien de cimetière, au moins là-bas, c’est pas les clients qui risquent de t’emmerder, tu crois pas ? lui demanda-t-elle sur un ton clairement railleur.

Enfin bon, cette conversation ne menait nulle part, et à part l’énerver, elle ne servait pas à grand-chose ! Elle n’avait rien pu apprendre de plus sur les clients de Gavriil et elle se refusait à poser ouvertement des questions sur le fouteur de merde de la veille à Keith. Hors de question qu’elle se rabaisse à ça ! Elle préférait encore envoyer quelqu’un de plus fin et de plus patient plutôt que de faire une chose pareille et de bafouer sa fierté. Mieux valait partir avant qu’elle ne s’énerve à nouveau, c’était bien plus sage.

Du coup, elle se leva, déposa l’argent pour son verre sur le comptoir et s’éloigna. Elle n’avait fait que quelques pas quand elle entendit à nouveau la voix de Keith. En entendant qu’il était en train de lui donner les informations qu’elle voulait depuis le départ, un sourire satisfait apparut sur ses lèvres. Sourire que le loup-garou ne pouvait guère voir puisqu’elle prenait soin de rester dos à lui. Tout en l’écoutant parler, elle nota dans un coin de sa tête les informations qu’elle recevait : Anton, moins de 25 ans, tête à claque et grande gueule. Couplées à ce qu’elle savait – à savoir que c’était un fils à papa sang pur dont le paternel bossait justement au ministère – ces informations lui permettraient de retrouver l’abruti qui avait balancé ça. Finalement, elle n’était pas venue pour rien ! Par contre, en entendant que ce fameux Anton avait balancé – à tout hasard – qu’un coup d’état était en préparation et qu’en plus il s’était fait passé pour Horn, ses yeux se mirent à lancer des éclairs pendant une seconde, mais elle se reprit bien vite.

Keith avait beau l’avoir énervée et l’avoir insultée, il lui avait tout de même était utile. Bien qu’elle ne sache absolument pas pourquoi il lui avait dit tout ça, Eden lui en était reconnaissante. Aussi se tourna-t-elle de nouveau vers lui cette fois, avec un tout petit sourire reconnaissant – qu’elle nierait lui avoir adressé bien entendu.

-Merci Keith ! lança-t-elle avec un signe de tête.

Etant toujours à proximité du comptoir, elle glissa un gallion dans le pot à pourboire avant de s’éloigner et de quitter le Dragon Enflammé. Mais plutôt que de rentrer directement chez elle comme elle en avait eu l’intention, elle se rendit dans la Ville Souterraine pour faire part à Liam de ce qu’elle venait d’apprendre et décider de la marche à suivre.